Et relire des vieux mails datant d'il y a trois ans n'est sûrement pas la bonne solution, mais je n'arrive pas à m'y faire. Je n'arrive pas à me faire à l'idée que l'on peut connaître si bien des gens et finir par n'être plus rien les uns pour les autres. Et l'autre jour, J. m'écoutait parler de ce lointain passé, une bière à la main. Il ne savait pas trop quoi dire, face à l'indicible.
Il faut que je me détache de ce passé, de ces gens que j'ai tant aimé et si bien connus. C'est fou, comme aujourd'hui encore, je serais capable de réciter leur vie. Certains connaissent des poèmes, moi je connais leurs chansons préférées, le prénom de leurs frères et soeurs, le travail de leur parents et même parfois leur âge, le nom de leur meilleur ami de lycée, leurs déceptions et leurs aspirations, l'heure à laquelle ils se lèvent le dimanche, la couleur des murs de leur chambre et toutes ces choses, si insignifiantes que je me suis appliquée à apprendre, fut un temps. Je les connais si bien, et pourtant je ne leur adresse même plus la parole aujourd'hui. Et les choses n'iront sans doute pas en s'arrangeant. Alors J. a dit "il faut que tu t'y fasses, c'est peut-être même mieux pour toi", alors je m'y ferai tant bien que mal. Pourtant je sais qu'il comprend à quel point ça peut faire mal, ce genre de choses. Peut-être que l'on devrait simplement se tenir à carreau, ne jamais mettre les doigts dans l'engrenage car ensuite, c'est la mécanique du coeur qui s'enclenche, et l'on ne sait plus vraiment comment l'arrêter. Je voudrais pouvoir oublier tous ces gens, toutes ces promesses, et oublier papa en même temps, oublier le papa que j'ai tant cherché et que je n'ai jamais trouvé. Je voudrais pouvoir oublier que l'on s'est aimés, un jour. Ce fut finalement si bref. Tellement bref face à nos promesses d'éternité.