vendredi 4 mars 2011

Lettre au père.

T’écrire, te dire, au moins une fois, combien tu m’as manqué pendant toutes ces années. Oui, souvent, tu m’as manqué et tu me manques encore. Dans les allées du Père Lachaise, sur les quais de Seine et sur ceux de gare ; tous les jours de rentrée, chaque soir avant de m’endormir, tu m’as manqué. Et ça, tu ne le sais pas, tu ne le devines même pas. Tu me connais trop peu pour le savoir.
Et ce 21 mars 2008, c’était, je croyais un peu comme mon premier printemps. C’est étonnant, de rencontrer son père le jour du printemps. Et je pensais « enfin, je connais mon père ». Je me trompais. Je ne te connais pas. Encore aujourd’hui, après presque trois ans, je ne te connais pas. Je ne savais même pas que tu étais né un 25 février, et tu n’imagines pas, à quel point cela m’a renvoyée au vide de notre relation. Je ne connaissais même pas l’anniversaire de mon père. Oui, tout ça est le reflet du reste. Je ne connais pas tes amis, le prénom de ta mère et ceux de tes sœurs, ni ta marque de yaourts préférés. C’est idiot bien sûr ; mais l’on n’imagine pas à quel point les yaourts peuvent avoir leur importance. On n’imagine pas les océans de tristesse et les larmes versées, rien que pour des pauvres petits yaourts. Ce sont ces détails tellement insignifiants qui me renvoient parfois au vide de notre relation, qui me donnent le vertige.
Tu ne me connais pas non plus. Il faut dire les choses comme elles sont. On ne se connait pas.
Je pensais que ça finirait par venir ; ce 21 mars, j’étais encore persuadée que ça viendrait. Je me souviens de tout, tu sais. De cette nuit orangée, la veille, de la neige, du film duquel tu n’avais pas vu la fin, de l’endroit exact où tu t’es assis, du mur dans mon dos, du fromage blanc au coulis de fruits rouges, de la première fois que je t’ai vu, avec ta veste rouge. Je me souviens de tout, j’ai toujours tout gardé. Oui, ce jour-là, je pensais réellement que nous allions finir par nous connaître. Aujourd’hui, je ne sais pas si c’est le temps – ou autre chose – mais je n’en suis plus aussi sûre. J’ai compris que les choses ne venaient pas d’elles-mêmes, et qu’on ne pouvait pas non plus toujours aller contre. J’ai compris que je n’étais pas vraiment ta fille, pas tout à fait une inconnue non plus. Mais il y a toujours ce rôle de fille cachée qui me colle à la peau. Car au fond, c’est ce que je reste. Même si c’est (toujours aussi) difficile à accepter. Cette sensation de n’exister qu’à demi, d’être encore maintenant, rejetée au second plan. Au fond, c’est comme cette dédicace dans le livre de Philippe Delerm, écrite au crayon à papier, pour que l’on puisse mieux m’effacer, quand il le faut. Ne surtout pas déranger, car « quand tu aimes, il faut partir ». C’est toujours aussi difficile, quoi que j’en dise parfois, d’être l’amie de la famille, d’être l’absente. Aux repas de famille, sur les photos, et peut-être même pire, dans ton cœur.
Il y a toutes ces choses qu’on a jamais fait et qu’on ne fera peut-être jamais, je me suis résignée, à force, ou du moins , j’ai essayé. J’ai compris que ces choses-là n’étaient pas pour moi, qu’elles étaient réservées à d'autres. Il y a toutes ces choses comme fêter Noël ou partir en vacances. Il y a tout ce vide, quand j’y pense.

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